Le cauchemar des Grands Lacs

9 février 2012 admin Articles Sud-Ouest

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La lutte contre la très forte prolifération des algues invasives se poursuit. Il en va de la survie de l’environnement et de l’économie. Les Communautés de communes des Grands Lacs et de Mimizan préparent « une boîte à outils » à destination des communes. Mais le coût risque d’être élevé

La sonnette d’alarme est tirée depuis le petit port de Sainte-Eulalie-en-Born mais le problème concerne la totalité des 25 ports répartis sur les grands lacs du nord des Landes. Le lagarosiphon major, une algue invasive observée dès 1965 sur le lac de Cazaux-Sanguinet, à Port-Maguide, dix ans plus tard à Parentis, puis en 1978 à Biscarrosse, continue d’étendre ses racines et d’asphyxier le lac.

Le lagarosiphon forme avec sa cousine, l’egeria dense, ce qui ressemble par endroits à un véritable gazon aquatique. Un tiers des 3 600 hectares qui composent la surface des lacs serait déjà touché.

Le faucardage a montré ses limites

Les habitués des berges des Grands Lacs ont sans doute déjà aperçu un bateau à roue à aubes équipé d’une barre de coupe. Dans le jargon environnemental de la lutte contre la prolifération des algues invasives, on appelle ça un bateau faucardeur, ou « moiss’bat », sorte de modèle aquatique des moissonneuses-batteuses. Plus ou moins efficace pour lutter contre la jussie ou la myriophile du Brésil, cet appareil montre partout ses limites avec le lagarosiphon, une espèce hydrophile extrêmement tenace.

« Il s’agit d’une technique intéressante à condition qu’elle soit assortie d’un arrachage manuel et qu’elle soit considérée comme une procédure d’entretien, un peu comme une tondeuse à gazon », précise Laurent Pickhahne. Du syndicat mixte GéoLandes jusqu’à l’Institut bordelais de recherches pour l’ingénierie de l’agriculture et de l’environnement, Cemagref, tout le monde sait très bien que « cela coûte cher » et que « son efficacité est limitée ». Bref que c’est « un pis-aller », témoigne en toute clarté le directeur environnement du Conseil général, Laurent Fournier.

Un pis-aller qui permet néanmoins de parer au plus urgent et de garantir une certaine navigabilité sur le lac. Une vaste opération sera encore menée au printemps du côté des chenaux de Biscarrosse.

Alors que rien ne semble plus en mesure de stopper son extension, et surtout pas les opérations de « faucardage » initiées il y a trois ans et de nouveau programmées en avril (lire par ailleurs), les pêcheurs s’inquiètent pour l’avenir.

Les 25 ports sont touchés

« C’est une vraie calamité qui touche tous les ports de la Communauté de communes des Grands Lacs et de Mimizan », intervient Georges Desbordes. La description offerte par le vice-président d’Alliance halieutique des Grands Lacs et de l’Association agréée de pêche et de protection des milieux aquatiques de Saint-Eulalie-en-Born est pour le moins préoccupante. Et un simple tour sur place permet de mesurer l’ampleur de l’enjeu auquel il faut faire face.

Avec 3 000 cartes de pêche et environ 4 000 bateaux recensés sur les deux principaux lacs, la colonisation des algues invasives est en train de se muer en véritable péril vert. Bien plus qu’un problème environnemental, pourtant bien réel, les conséquences de cette pollution naturelle pourraient en effet se faire ressentir lourdement au niveau du tourisme et donc de l’économie.

Dans la région de Gastes et de Sainte-Eulalie, les pêcheurs et plaisanciers s’agacent. Une pétition visant à éveiller les consciences avait encore été déposée dans les mairies à la fin de l’année 2011.

Pour le pêcheur de Sainte-Eulalie-en-Born, le constat est sans appel : « Pour moi, c’est simple, la prolifération de cette algue est en train de couler l’économie locale ! »

La pêche en première ligne

L’homme de 84 ans se base principalement sur la fréquentation du plan d’eau et sur l’érosion spectaculaire du nombre de cartes de pêche vendues. « Nous en avons encore perdu une centaine cette année. Et ce n’est pas étonnant puisqu’il n’y a plus que de l’herbe dans l’eau. Autrefois, à la même époque, ça mouchait de partout ; sandres, black-bass, perches, brochets et gardons, ici c’était gavé de poissons… Vous voyez un pêcheur vous, aujourd’hui ? »

Autre phénomène remarqué, qu’ils soient pêcheurs, amateurs de voile ou de sports nautiques, « les propriétaires de bateaux abandonnent peu à peu les pontons », témoigne le vice-président d’Alliance halieutique des Grands Lacs. Et pour cause. À certaines périodes de l’année, il est devenu tout bonnement impossible de sortir son bateau. Les algues se logent dans les hélices et menacent de casser les moteurs les moins solides. La même gêne est bien sûr occasionnée pour les quilles ou les dérives des gréements non motorisés.

Si les faits dénoncés ne se font pas encore ressentir dans les offices de tourisme ou au niveau de la fréquentation des campings, la lutte contre la prolifération des algues invasives est prise très au sérieux du côté des Communauté de communes des Grands Lacs et de Mimizan. Laurent Pickhahn, technicien rivières employé par les deux collectivités territoriales, planche sur le sujet depuis juillet 2007. Il décrit « une gêne chronique qui est devenue très importante depuis une poignée d’années ».

Certains ports prioritaires

« Le problème est accentué par le climat qui entraîne des différences de niveau d’eau importantes qui ne sont pas sans conséquences sur la navigabilité », développe le technicien. Laurent Pickhahne évoque aussi « des conséquences importantes au niveau de la biodiversité » avec la disparition pure et simple de populations endémiques.

La difficulté vient de « l’absence de solution idéale ». L’utilisation de produits chimiques ou biologiques susceptibles d’éradiquer ces espèces invasives est interdite. La législation prohibe également l’emploi d’espèces exotiques telles que les carpes amour, qui se nourrissent de ces algues. Quid du dépôt d’un voile au fond du lac ? « Diverses expériences ont montré que ça ne marchait pas », répond immédiatement Laurent Pickhahne.

La solution envisagée serait donc de curer les ports. Tous sont concernés mais l’urgence serait plus importante du côté de ceux de Gastes et de Sainte-Eulalie-en-Born. Le port de Navarrosse, à Biscarrosse, et celui de Parentis sont aussi gravement menacés.

« Il faudrait draguer les ports »

« 40 000 euros par hectare ». Tel devrait être le coût approximatif des opérations de dragage qui seront bientôt recommandées aux communes dont les ports sont envahis par le lagorasiphon major. Un coût exorbitant au regard du budget d’une municipalité telle que Sainte-Eulalie-en-Born. « Nous, élus, nous avons tous conscience que c’est un problème très important, mais si on doit le faire, il va falloir sérieusement se creuser la tête pour trouver des subventions… », commente le maire de Sainte-Eulalie, Yves Guédo.

Dotée depuis 2009 de moyens mécaniques et humains spécifiques, la Communauté de communes des Grands Lacs dépense actuellement près de 210 000 euros par an pour lutter contre les plantes exotiques envahissantes (le coût est partagé par la collectivité et les communes adhérentes). Suivant sa voix officielle, « le programme de travaux de faucardage des plantes a porté ses fruits en termes de volume, avec un total de 1 800 m3 de plantes ramassés en trois ans ». Malgré cet investissement, la collectivité est cependant forcée de reconnaître que « les interventions n’ont pas été totalement efficientes ». Pour mieux s’attaquer au problème, la CdC des Grands Lacs s’est depuis rapprochée de celle des Lacs médocains et de la commune de La Teste afin de constituer un comité de pilotage technique chargé de réaliser un « schéma directeur des espaces portuaires lacustres d’Aquitaine ».

Des questions sans réponse

Soutenu par le Groupement d’intérêt public (GIP) Littoral aquitain, ce schéma directeur dégagera un plan d’actions pour la valorisation des espaces portuaires.

Son axe prioritaire a déjà été trouvé. Il s’agira de mener des travaux de dragage afin de permettre à la fois l’enlèvement des plantes invasives mais aussi le traitement de leur habitat, les sédiments sableux organiques. Les réponses à deux questions essentielles demeurent néanmoins déterminantes.

Une question technique d’abord, avec déjà la certitude que « certains sols sont chargés de métaux lourds », informe Laurent Pickhahne. Que fera-t-on dans ce cas des sédiments sablonneux et vaseux qui seront extraits des ports qui seront curés ?

La question financière sera tout aussi déterminante, avec des communes qui seront certainement bien incapables de supporter un tel coût.

Ajoutons enfin que le risque d’effondrement des berges et des pontons ainsi que les conséquences sur la biodiversité inquiètent déjà les pêcheurs.

 

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